Japon
Grand Format
avril 2022
978-2-8097-1592-7
19 €
208 pages



Chaque matin, le chef Nakahigashi Hisao va cueillir fleurs, fruits et légumes sauvages dans la montagne où il est né, avant de les cuisiner dans son restaurant de Kyôto étoilé au Michelin.
Manger est au cœur de la vie même et de notre relation avec les autres êtres vivants, nous dit ce chef précurseur.
Dans ce livre riche et sincère, il nous parle de sa cuisine qui est aussi une façon d’être au monde.
Une cuisine bienveillante qui remercie la nature pour ses bienfaits et ne gaspille rien par respect pour ceux qui ont donné leur vie pour nous.
Une cuisine au plus près de la saison, attentive aux pousses qui pointent hors de terre, cônes de prêle, bourgeons de pétasite ou d’hémérocalle fauve, aux radis saisis par le gel qui révèle leur saveur sucrée.
Une cuisine de l’instinct, sensuelle, poétique, où l’on déploie tous ses sens et se fie à son intuition plutôt qu’à des recettes.
C’est ainsi que le chef Nakahigashi Hisao partage avec nous les techniques et les secrets de sa cuisine sauvage en délivrant une généreuse leçon de vie.
Manger le vivant fait éclater la joie au fond de nous, une joie qui se transforme en force, en énergie vitale.

Extraits de
Les Herbes sauvages (NAKAHIGASHI Hisao)

 

La carotte et Alain Ducasse

Ohara. Un endroit que j’ai fait découvrir à tant de monde !
J’y ai même emmené Alain Ducasse.
« Honnêtement, je croyais que les légumes qui poussent au Japon n’étaient pas bons, m’a-t-il confié alors qu’il dînait dans mon restaurant. Mais les vôtres… où les avez-vous trouvés ? Ils sont délicieux ! Où sont-ils cultivés ? »
Il avait posé la bonne question. Le matin suivant, je l’ai conduit au marché d’Ohara.
J’ai arraché une carotte du potager d’un ami et je suis parti la laver, en pensant lui proposer de la goûter. Mais quand je suis revenu — je revois cette scène comme si c’était hier — Ducasse, qui avait arraché une carotte, était en train de la croquer après en avoir simplement retiré la terre avec les doigts.
Il souriait tout en mâchant. J’ai songé, en voyant son sourire, que cet homme restait avant tout un cuisinier malgré tout ce qu’on pouvait dire sur lui, et cette pensée m’a rendu heureux.
Il parcourait le monde et était à la tête de tellement de restaurants ! Je m’excuse par avance auprès de lui si ce que je vais dire est grossier, mais je m’imaginais qu’il n’avait plus le temps de cuisiner.
Peu importe qui le mange : un bon légume sera toujours un bon légume.

Croquer du bout des dents

Tenez-vous face à la tomate, en la regardant comme un être vivant, comme vous regardez un être humain.
Il faut prendre conscience que les légumes qui portent le même nom ont chacun une odeur, une saveur et une texture différentes, qui doivent être perçues avec tous ses sens. Il s’agit de faire confiance à ses sensations.
Ce n’est pas si compliqué.
Vous n’avez qu’à croquer du bout des dents.
Croquez du bout des dents le légume que vous venez d’acheter avant de le cuisiner. Goûtez-le. Si ce sont des épinards, déchirez un morceau de feuille et grignotez-le. Sentez s’il est plutôt sucré ou plutôt âpre.
Puis retenez cette information.
Savoir comment cuisiner l’ingrédient en fonction de sa personnalité peut s’avérer difficile dans les premiers temps. Goûtez-le, puis décidez soit de le blanchir, pour le préparer en salade façon ohitashi par exemple, soit de le faire sauter. Si vous avez choisi de le préparer en salade, remémorez-vous le goût de l’ingrédient que vous avez croqué en mangeant le plat cuisiné. Si vous persévérez dans cet exercice, vous découvrirez au fur et à mesure qu’un épinard ayant tel goût est délicieux en salade, et que tel autre est plutôt destiné à servir de garniture pour une soupe miso.
Une fois que vous vous serez familiarisé avec ses différentes saveurs, de nouvelles idées vous viendront spontanément à l’esprit lorsque vous le goûterez. Tiens ! Et si je le préparais avec du tofu frit aujourd’hui ?
Goûter les ingrédients avant de les cuisiner.
C’est la première étape pour rester proche d’eux.

Manger le vivant

Manger le vivant, manger ce qui vient de la nature, c’est à mon sens ce qui provoque cette étincelle dans leur regard.
Manger le vivant fait éclater la joie au fond de nous, une joie qui se transforme en une force, en une énergie vitale.
Manger le vivant libère en nous une énergie vitale.
Nous avons parlé des humains qui vivent en prenant la vie d’autres vivants. Mais j’ai l’impression que les plats qui nous font sentir cette vie sont de moins en moins présents sur nos tables.
C’est pour cette raison que je fais ce travail, pour qu’existe un restaurant où ils sont servis. Sachez que vous n’avez pas besoin de nous rendre visite pour manger la vie de la nature.
Je ne cherche pas à vous pousser à courir les prés pour cueillir des plantes, ou à vous enfoncer dans la montagne pour ramasser des champignons.
Sans aller jusque-là, tout le monde — même un citadin — peut, s’il en a envie, goûter le vivant, manger la vie de la nature.
Le plus important, ce sont les repas du quotidien. C’est la cuisine de tous les jours.
Les sentiments avec lesquels elle est préparée.
Les sentiments qu’on y glisse.
C’est pourquoi je suis convaincu que la cuisine familiale est plus importante que la cuisine servie dans un restaurant.